RETOUR AU VULLY
J’avais douze ans quand nous sommes rentrés. C’est alors que mon père a construit un moulin et une grande scierie à Bellerive.
On se levait tous les matins à six heures. Le déjeuner était pris au moulin ou à la scierie. Ma soeur Germaine nous apportait à manger à midi. Il fallait vider la sciure et sortir les planches avant d’aller à l’école. L’été, nous mangions n’importe où, sur les planches. L’hiver c’était dans le moulin, sur les sacs de son ou de farine. On avait un scieur et un meunier; c’est avec eux que je suis devenu scieur et meunier.
Il y avait une grande transmission de douze mètres de long. Tous les matins, mon frère Marius et moi, nous devions remplir tous les graisseurs et faire le graissage partout.
En 1902, j’avais dix-huit ans, mes parents me voyant bien décidé à partir, me donnèrent cent francs et, un beau jour, me voilà parti à Paris.
En 1904, je dus faire mon école militaire. J’avais demandé à entrer dans une compagnie de cyclistes, mais rien à faire, j’ai été affecté à l’infanterie et passé mon école de recrues à Lausanne. Un jour, des officiers nous ont posé, à tour de rôle, cette question:
« – Qu’est-ce que vous voulez faire dans la vie? »
Et moi, je répondis sans hésiter:
« – Conduire des automobiles (le mot de « chauffeur » n’existait pas encore). »
En 1905, Grandjean décide de retourner à Paris. Il ne trouvera pas l’emploi de chauffeur. Désolé, il décide de faire ses offres de service à l’usine Martini, à St Blaise. A sa grande surprise il est immédiatement convoqué à Zurich,au garage Utoquai et engagé.
C’est le début d’une incroyable aventure menant le jeune homme en Egypte au service d’un prince. Le sultan Omar BEY faisant de Grandjean l’homme indispensable d’une société cutivée, riche et généreuse.
Revenons en 1910, le premier avion de Grandjean a volé le 10 mai, piloté par un gamin. Un mois plus tard, son constructeur ne s’élèvera que de quelques mètres, il fera de la casse et Avenches sera bientôt en ébullition !
J’ai ramené les débris de mon avion à Bellerive et je me suis mis à le reconstruire. C’était un grand travail car, outre qu’il avait été gravement endommagé, j’avais décidé de lui refaire une paire d’ailes et de le munir d’un autre modèle de gouvernail.
Dès ce moment, j’eus des contacts avec Georges Cailler, qui construisait aussi un avion à son idée, au château de Vallamand, propriété de son père. Pendant ce temps, bien entendu, Failloubaz ne pouvait pas continuer à s’entraîner sur mon appareil. C’est alors qu’il acheta la Demoiselle, de Santos-Dumont, très petit avion construit près de Paris, et dont on parlait beaucoup à l’époque.
Il fit construire un hangar en bois pour le loger, sur le terrain de l’Estivage, où toutes nos expériences précédentes s’étaient déroulées. Failloubaz s’entraînait avec sa Demoiselle sur ce terrain et nous nous y retrouvions toujours, lorsque nous avions quelque chose à nous dire ou à nous communiquer.
Je l’ai vu un jour décoller et faire un bond d’un mètre de hauteur, puis, le surlendemain, il est monté à environ cinq mètres. C’est à peu près tout ce que j’ai pu voir personnellement de ses réussites sur cet avion, qui me faisait l’effet d’un jouet. Du reste, Failloubaz s’en lassa vite et parla bientôt d’acheter un Blériot.
Nous avions envisagé que, lorsque mon avion serait remis en état de vol, nous irions participer à un des meetings internationaux qui avaient lieu à Viry, en Haute-Savoie. Il y en avait justement un de prévu du 14 au 21 septembre 1910.
Un jour, au milieu de septembre, je vais au hangar et je vois que c’était le jeune ami avenchois de Failloubaz, Otto Charmey, qui s’entraînait sur la Demoiselle Santos-Dumont. Je lui demandai des nouvelles de Failloubaz, et il me répondit :
« – Oh! Il est parti pour Paris il y a une quinzaine de jours. Mais il doit rentrer demain matin, et il m’a chargé de vous dire qu’il faut embarquer votre appareil dans un wagon pour Viry. »
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